“Marie Gailland s’attache à une tonalité intime dans ses Poèmes sauvages, où cet aspect découle de l’introspection favorisée par ce moment singulier qu’est la création, propice à la réactivation des souvenirs les plus profondément enfouis.
Dans ces œuvres, l’espace se peuple d’écheveaux, de figures en équilibre tandis que des « corps » aux déformations expressionnistes s’arrachent à la matière picturale. Les traits figurent des « bonshommes » aux formes approximatives et élémentaires plus que des personnages.
Leurs silhouettes et l’espace dans lequel elles flottent, instable, gazeux, ont perdu en pesanteur. Sans considé- ration pour les détails, cernées de contours nerveux, plus ou moins épais, elles sont sous-tendues par une certaine coloration dramatique.”
Julia Hountou
Marie Gailland s’attache à une tonalité intime dans ses Poèmes sauvages, où cet aspect découle de l’introspection favorisée par ce moment singulier qu’est la création, propice à la réactivation des souvenirs les plus profondément enfouis. Dans ces œuvres, l’espace se peuple d’écheveaux, de figures en équilibre tandis que des « corps » aux déformations expressionnistes s’arrachent à la matière picturale. Les traits figurent des « bonshommes » aux formes approximatives et élémentaires plus que des personnages. Leurs silhouettes et l’espace dans lequel elles flottent, instable, gazeux, ont perdu en pesanteur. Sans considé- ration pour les détails, cernées de contours nerveux, plus ou moins épais, elles sont sous-tendues par une certaine coloration dramatique. Ici, le style spontané, énergique et naïf témoigne d’une force interne impulsive, « sauvage ». Sur un fond légèrement coloré, les lignes cheminent librement. Que le trait soit mince, égal, rapide, qu’il tremble et ne se déplace qu’avec une lenteur circonspecte ou soit au contraire décidé, appuyé, incisif, toujours il possède un pouvoir d’évocation saisissant. Le dessin acéré n’indique qu’une ossature allusive et confère ainsi aux éléments l’apparence d’un mirage : on caresse le souvenir déjà un peu inconsistant des présences mouvantes comme issues des rêves. Poétesse du fragment, Marie Gailland réalise des sortes de collages où les images, les signes et les mots s’entrechoquent parfois. Les Poèmes sauvages sont traversés par ces affects incontrôlables qui nous constituent tous et nous hantent - amour, obsessions, phobies - suscitant en elle le pressentiment et le besoin de l’expression picturale. Les sensations internes de plaisir (Les sensuelles) ou de déplaisir (Dessin douleur), d’attirance ou de répulsion qu’elle extériorise révèlent combien ces forces composent la part la plus archaïque de l’homme, « les plus violentes puissances naturelles » selon Nietzsche qui les rapproche de ceux d’instinct et de pulsion.
Cette série, proche de l’art primitif et archaïque est « souvent l’illustration de (s)on empathie envers l’être humain, l’être animal ou la nature… ». Chevaux, loups, panthères, chats, lapins, oiseaux cohabitent avec des motifs abstraits. Ses coursiers imaginaires, oniriques, évoquent le galop, le mouvement, la vitesse, la liberté, le voyage, la légèreté, la motricité au sein de notre monde régenté par des lois coercitives (conventions, normes, interdits sociaux, tabous) qui canalisent les pulsions.
Les loups invoqués par l’artiste réactivent quant à eux les croyances et les peurs ancestrales. Cet animal de mauvaise ré- putation, familier de la nuit et du froid, fréquemment présent dans les contes et légendes suggère l’âpreté des instincts. Les Poèmes sauvages révèlent ainsi l’attention que Marie Gailland accorde à la part brute en l’homme, rejoignant en ce sens la position de Jung : « Qui n’a qu’un pied dans le monde de la consciencedispose toujours du flair nécessaire pour converser amicalement avec l’animal qui est en lui. » Puisant dans sa collection d’images personnelles, elle tente de convoquer des émotions primitives et universelles. Par l’évocation d’un imaginaire commun à l’espèce humaine, ses dessins archétypiques suggèrent qu’aspirer à être en accord avec soi passe par une lutte avec les pulsions.
À l’opposé, pour neutraliser la violence, la plasticienne représente parfois des anges dotés de larges ailes, dont la présence introduit l’apaisement. Ces êtres merveilleux, « messagers » de Dieu, envoyés du Ciel sur la terre pour apporter soutien et protection aux hommes, représentent aussi la part divine en nous.